« Qui voudrait d’une boiteuse avec un gamin à traîner derrière ? » criait-il derrière elle.

Sasha et sa fille se sont précipitées dans la cour pour mettre enfin un terme à leur relation avec le mari. Celui-ci, ivre, hurlait derrière elles :

— Prends tes affaires et ne remets plus jamais les pieds dans ma maison ! Je ne veux plus te voir ! À quoi bon une infirme traînant un enfant ? Tu ramperas à mes pieds si tu veux revenir.

Sasha a accéléré le pas pour ne rien entendre, malgré sa boiterie et la pluie torrentielle.

Elle avait planifié sa fuite dès la journée précédente : quitter cet époux alcoolique et rejoindre des proches dans le village voisin.

Quand son mari devenait agressif, les voisines tentaient de le calmer, mais en vain — dès qu’il buvait, on aurait dit qu’un démon l’habitait.

Avant le mariage, Sasha vivait chez de lointains parents. Sa boiterie congénitale était compensée par sa beauté. Ceux-ci l’avaient mariée de force à Piotr pour se débarrasser d’elle, sans jamais se soucier de l’amour ou du respect. Peu importait qu’il boive, qu’il agitât les bras et qu’il humilie la pauvre Sasha.

Après la naissance de leur fille, la situation s’est détériorée. Chaque jour, son mari rentrait ivre et la frappait violemment. Les mots cruels abondaient, et Sasha pleurait chaque matin, sans personne pour la défendre.

Elle espérait que ses parents l’accueilleraient, car elle n’avait nulle part où aller. Chassée tard le soir, elle s’est retrouvée à attendre des heures à l’arrêt de bus, tous les transports étant déjà partis.

Au bout d’un moment, un 4×4 s’est arrêté :

— Quel drôle d’horaire pour voyager avec un enfant ! Et ce temps affreux !

Le conducteur s’est d’abord agacé, mais en voyant le visage en larmes de Sasha, il a compris la gravité de la situation. Il ne prévoyait pas d’aller dans le village où elle se rendait, mais il n’a pas pu la laisser là.

— Ne pensez pas de moi que je suis un mauvais bougre, c’est la vie qui a voulu cela, s’est défendue Sasha avant de lui raconter son histoire.

Elle n’avait plus confiance en personne et avait besoin de se confier. Le conducteur, nommé Sergueï, lui a demandé :

— Chez qui vas-tu ?

— Chez des proches. Ils ne seront peut-être pas ravis, mais je n’ai pas d’autre solution.

Arrivés à destination, Sergueï est resté un moment sur la route. Il pressentait que la famille de Sasha ne l’accueillerait pas. Et il avait raison : on hurlait si fort que les murs tremblaient.

Sergueï a alors proposé à Sasha et à sa fille de venir chez lui, sachant qu’elles n’avaient pas d’autre refuge. Elles ont vécu deux semaines chez lui : l’air pur, le lait frais, les fruits du jardin et l’espace dégagé leur ont plu. Sasha a aidé aux travaux de la ferme, ne voulant pas être un poids. Pendant ce temps, Piotr, ivre, n’a même pas remarqué leur absence.

Au bout de quelques semaines, Sasha est retournée chez elle avec Sergueï pour récupérer ses affaires. Il est resté sidéré en apercevant dans la cour un 4×4 de luxe, suscitant la curiosité des voisins.

Quand ils ont vu Sasha, tout le monde a été surpris par son changement : élégante et souriante, elle marchait au bras d’un homme grand et sûr de lui. En guise d’adieu, elle lança à Piotr :

— Tu vois, je ne suis pas perdue, même boiteuse. Et un enfant n’est pas un obstacle ! Toi, tu es resté au même point. Vis ta vie comme tu l’entends.

Like this post? Please share to your friends:
Monde des idées